L'élève de l'Opéra, documentaire de Christian Lallier, réalisé avec Mélodie Tabita, 122mn. Photos : réunion entre l'Opéra de Lyon et la Fondation Total
La pratique du « terrain » par l’observation filmée implique de rendre compte de ce qui se joue dans les situations sociales observées. Il ne suffit pas d’enregistrer ce qui se dit, mais de s’attacher à ce que cela dit aux acteurs. En d’autres termes, il s’agit d’être attentif aux modes de justification par lesquels les acteurs légitiment leurs actions ; comment chaque « interactant » évalue l’intensité avec laquelle il peut prendre part à l’activité cadrée, selon la terminologie d’Erving Goffman. Il en est ainsi d’une négociation comme d’une simple salutation. Il conviendra ainsi de percevoir toute situation sociale observée comme une circonstance de travail où la production des échanges ne va pas de soi et constitue, littéralement, un événement cérémoniel. Par une ethnographie des interactions, on apprendra à filmer les transactions qui sont à l’œuvre dans une situation sociale.
Lors de cette séance, les étudiants s’attacheront à suivre le processus d’une transaction, par l’observation filmée des échanges. Tout en étant attentif à ce qui se joue entre les personnes, ils devront apprendre à trouver leur place dans la situation sociale observée, à estimer la distance ou la proximité avec laquelle ils peuvent se tenir face à ceux qu’ils filment. Ce « terrain » leur permettra de se confronter aux difficultés, techniques et relationnelles, de la pratique de l’observation filmée : autant de contraintes qui ne devront pas, pour autant, altérer la capacité de description et d’attention que requiert le travail de l’enquête.
3ème séance : L'observation filmée des interactions sociales - Filmer les transactions
Comment pouvons-nous filmer deux personnes, engagées dans un même échange, sans que notre présence d’observateur-filmant puisse perturber leur interaction : cette relation dont nous cherchons précisément à rendre compte ? Cette situation paradoxale repose sur un jeu de dénégation du rapport social entre filmant et filmé. On étudiera, d’une part, les conditions qui autorisent ce déni de la réalité [en sorte qu’on feint d’oublier la présence incongrue de la caméra] ; et d’autre part, on définira comment se produit et se maintien la « situation filmante ».
Ce cadrage théorique sera accompagné et prolongé par des exercices de prise de vue : ceux-ci permettront de s’initier à la perception du rapport filmant-filmé, ainsi qu’au rapport que l’on entretient avec son corps en filmant. Cette séance sera également l’occasion d’une prise en main technico-pratique du matériel de prise de vue et de prise de son.
2ème séance : Les conditions épistémologiques du rapport filmant-filmé
Cet enseignement vise à apporter aux étudiants de Sciences Po une formation dans « la pratique de l’enquête de terrain », par l’approche ethnographique de l’anthropologie filmée. Le programme se structure en 3 séances de 4 heures selon le descriptif suivant :
Cours-atelier d'anthropologie filmée
1ère séance : Techniques et méthodes de l'enquête de terrain par l'observation filmée
Filmer l’activité des autres, c’est savoir être là : en co-présence et en face-à-face avec des personnes qui agissent et interagissent, sans que leur action puisse se justifier par la présence de la caméra. A partir de cette disposition, que l’on qualifiera d’observation filmante, on s’exercera à filmer des situations de la vie ordinaire (dans la rue, les magasins, les cafés, les squares…). On définira en quoi consiste « filmer le réel », à partir des notions d’engagement et d’irréversibilité. Dès lors, on s’attachera à interpréter une circonstance d’activité en tant qu’elle se représente sous des formes observables et filmables, afin de se construire un point de vue.
La durée de cette séance sera doublée, soit quatre heures, afin de favoriser l’apprentissage du terrain. Après une courte session d’introduction en salle de cours, la séance se poursuivra dans un lieu public : les étudiants auront pour consigne de se faire accepter dans un magasin, par exemple, ou dans tout autre lieu d’échanges, afin de filmer une interaction sociale. Ils devront également s’attacher à rendre compte du rapport entre cet espace d’échange et l’environnement extérieur : par exemple, comment le lieu se manifeste en tant que territoire, avec un seuil qui désigne le « dehors-dedans » d’un monde observable ? Un tel exercice visera à mettre en pratique les conditions de l’observation filmée, à l’appui de techniques et de méthodes permettant d’utiliser la caméra comme une condition à l’observation et non comme un biais ou un obstacle.
2006- 2008
Le terrain de l'enquête par l'anthropologie filmée