La famille Sow-Dioumassy, se demande comment elle pourra payer le raccordement au réseau électrique.
Demba Diuoumassy, Nioro-du-Sahel.
Pour citer cet article :
Christian Lallier, Une autre cartographie du "terrain" : les liens de parenté, in site internet http://www.c-lallier-anthropologie-filmee.com/index.html
Plan de la ville utilisée pour le projet d'électrification
Système de parenté de la famille Sow-Dioumassy
Cette reconnaissance dont je pouvais faire l’objet, par ce lien de filiation qui m’était attribué, ne pouvait que satisfaire mon sentiment d’appartenance à Nioro : mais, il me revenait de comprendre que cet attribut constituait simplement une forme de désignation au sein de l’institution familiale, afin de me distinguer de tout autre personne qui n’entretiendrait aucune relation particulière avec un membre de cette famille. Autrement dit, j’étais « Pata » au sens où j’étais une relation de la famille par mon lien amical avec Pata. Je devais donc me déprendre de la fiction à laquelle je pouvais croire : « je suis Pata » au sens où « je suis un membre attitré de la famille ». Sinon, j’aurais interprété cette attribut de filiation non plus comme un terme symbolique de désignation affective (tout comme m’appeler par mon prénom) mais comme une identité essentielle d’appartenance, me donnant une légitimité d’agir sur le territoire.
Cette confusion, qui rappelle les erreurs d’interprétation de la fonction totémique, nourrit l’ambivalence des relations Nord-Sud de l’aide au développement : combien d’attitudes aux accents paternalistes et néo-coloniaux s’appuient sur des relations de familiarité tissées entre « développeurs » et « développés ». Cette prégnance de l’attribut de filiation marque (ou, a marqué) ces relations. Lors du tournage de Nioro-du-Sahel, une ville sous tension j’ai pu filmer un accouchement. Lorsque l’enfant est né, la tante a souhaité lui donné symboliquement mon prénom… Lors de leurs différentes missions pour leur projet à Nioro, certains électriciens ont reçu l’attribution de prénoms locaux en reconnaissance d’une relation d’amitié : « Fatouma n° 2 », « Le vieux Lion », etc… Un jour, certains électriciens ont installé des pancartes dans Nioro-du-Sahel en nommant ainsi quelques rues de la ville avec leurs attributs d’appartenance… Je crois me souvenir qu’ils avaient agi ainsi en réaction à leur différent avec le maire de Nioro.
(2) Robert DELIÈGE, Anthropologie de la parenté,Paris, Armand Colin, coll. Cursus, 1996.
Dans l’exemple de la famille Soninké Sow-Dioumassy, apparaît un mariage par cousine croisée matrilatérale qui semble être une pratique usuelle. La résidence est virilocale, autrement dit la femme s’installe dans la famille de l’homme. Toutes ces données marque bien le poids du lien familial, rappelant que « les populations traditionnelles ne peuvent concevoir les relations sociales en dehors de la parenté, explique Robert Deliège dans son ouvrage « Anthropologie de la parenté ». Toute personne de leur entourage sera donc classée, d’une manière ou d’une autre. Ainsi les ethnologues sont même affublés d’un terme de parenté, souvent « frère », par les membres de j’ai pu comprendre leur génération. (…)
Tout individu qui vit dans la communauté tombe inévitablement dans une catégorie de parenté. Les étrangers ne font pas partie de leur vie. Pour exister, il faut être nommé selon la nomenclature de la parenté » (2). C’est en vertu de ce principe d’appartenance que j’ai pu être accueilli dans la famille Soninké Sow-Dioumassy. J’étais venu les rencontrer de la part de leurs parentes Pata Bocoum et Djénéba qui habitaient alors en région parisienne. Lors de ma visite, je leur ai apporté une demi douzaine de lettres de leur part et je leur ai également présenté le tableau que j’avais réalisé sur leurs relations de parenté. Cette représentation que j’avais pu faire de leur famille les avait ravis. Sans doute étaient-ils touchés qu’un étranger, un « blanc », puisse porter autant d’attention aux liens qui unissaient chacun des membres de leur parenté. En tous cas, on m’attribua une filiation à Pata Bocoum habitant en France, de sorte que je fus accepté comme un substitut de ce parent absent : « tu es un ami Pata, tu nous as apporté de ses nouvelles. C’est comme si tu étais Pata, c’est pareil » me disait le vieux Demba Dioumassy lorsque je le remerciais de leur accueil chaleureux.
Nioro-du-Sahel est une ville complexe, tissée par l’histoire des maillages croisés des liens de parenté rayonnant par-delà les limites de quartiers, tel un vaste réseau entre les 25 000 niorois. Au début de mon « terrain », je percevais la ville selon le plan urbain rudimentaire utilisé par les électriciens bénévoles pour réaliser leur projet. Puis, au détour de mes rencontres et de mes échanges lors de mon enquête ethnographique précédant le tournage, j’ai commencé à percevoir comment la ville se structurait de l’intérieur par les liens de parenté et de voisinage. Afin de me représenter plus clairement cette complexité sociale, j’ai établi progressivement le tableau des relations de parenté d’une des familles de Nioro dont j’étais la plus proche : les Sow-Dioumassy.
J’ai ainsi pu mettre en représentation les liens de mariage et de filiation entre les membres de ces deux familles d’origine, selon le modèle des systèmes de parenté de l’anthropologie structurale. Le tableau ci-joint présente sur quatre générations, les liens de parenté des principaux membres d’une famille observée sur le terrain. Bien que fort incomplet, il permet de saisir l’imbrication sociale dans laquelle chaque individu est profondément impliqué : comment les liens de parenté ont pu investir le vivre ensemble, l’action individuelle et collective de la vie quotidienne. A Nioro, la filiation est patrilinéaire et la pratique de la polygamie est encore très présente même si elle tend à disparaître avec la nouvelle génération.
(1) Ce texte est une version actualisée d’un chapitre du rapport rédigé, en 1997, dans le cadre de la réalisation initiale de Nioro-du-Sahel, une ville sous tension : lorsque ce documentaire était conçu comme un programme de recherche.
Contrairement à ce que pourrait le laisser suggérer le plan de la ville, issue de l’ancienne administration coloniale, Nioro-du-Sahel n’est pas simplement une agglomération répartie en quartiers correspondant à des zones ethniques. Cette interprétation de l’urbanisme de la ville repose sur une objectivité cartographique qui n’en est pas moins trompeuse. Non pas tant qu’une ville malienne soit différente d’une ville française, mais que dans l’un et l’autre cas il convient de comprendre ce que recouvre la représentation planificatrice d’une totalité urbaine : quels sont les formes d’organisations économiques et sociales qui structurent les flux de production, les codes d’appartenance, les cadres de légitimation ? En d’autres termes, quel est l’espace politique de la ville ?
Une autre cartographie du "terrain" : (1)
Nioro-du-Sahel, une ville sous tension