Le terrain de l'enquête par l'anthropologie filmée - II
La pratique du « terrain » par l’observation filmée implique de rendre compte de ce qui se joue dans les situations sociales observées. Il ne suffit pas d’enregistrer ce qui se dit, mais de s’attacher à ce que cela dit aux acteurs. En d’autres termes, il s’agit d’être attentif aux modes de justification par lesquels les acteurs légitiment leurs actions ; comment chaque « interactant » évalue l’intensité avec laquelle il peut prendre part à l’activité cadrée, selon la terminologie d’Erving Goffman. Il en est ainsi d’une négociation comme d’une simple salutation. Il conviendra ainsi de percevoir toute situation sociale observée comme une circonstance de travail où la production des échanges ne va pas de soi et constitue, littéralement, un événement cérémoniel. Par une ethnographie des interactions, on apprendra à filmer les transactions qui sont à l’œuvre dans une situation sociale.
Lors de cette séance, les étudiants expérimenteront les enjeux techniques et relationnelles de la pratique de l’observation filmée : ces conditions spécifiques au tournage d'un film documentaire ne devront pas, pour autant, altérer la capacité de description et d’attention que requiert le travail de l’enquête ethnographiques.
A l'inverse, tout en étant attentif à ce qui se joue entre les personnes, ils devront apprendre à trouver leur place dans la situation sociale observée en tant qu'ils enregistrent ce qui se dit et ce qui se fait..!
3ème séance : L'observation filmée des interactions sociales - Filmer les transactions
Comment pouvons-nous filmer deux personnes, engagées dans un même échange, sans que notre présence d’observateur-filmant puisse perturber leur interaction : c'est-à-dire, cette relation que nous cherchons précisément à rendre compte ? Une telle situation paradoxale repose sur un jeu de dénégation du rapport social entre filmant et filmé. On étudiera, d’une part, les conditions qui autorisent ce déni de la réalité [en sorte qu’on feint d’oublier la présence incongrue de la caméra] ; et d’autre part, on définira comment se produit et se maintien la « situation filmante ».
Ce cadrage théorique permettra de s'exercer à la prise de vue en tant que cette pratique suppose de percevoir le rapport filmant-filmé ; d'avoir conscience de la présence de soi filmant dans un cadre social. Cette séance sera également l’occasion d’une prise en main technico-pratique du matériel de prise de vue et de prise de son.
1ère séance : Les conditions épistémologiques du rapport filmant-filmé
2ème séance: Techniques et méthodes de l'enquête de terrain par l'observation filmée
On interrogera l'expression « filmer le réel », à partir des notions d’engagement et d’irréversibilité. Dès lors, on s’attachera à interpréter une circonstance d’activité en tant qu’elle se représente sous des formes observables et filmables, afin de se construire un point de vue.
À partir de ce cadrage théorique, on s’exercera à filmer des situations de la vie ordinaire (dans la rue, les magasins, les cafés, les squares…). Cet exercice pratique reposera sur une double consigne : d'une part, les étudiants devront se faire accepter dans un magasin, par exemple, ou dans tout autre lieu d’échanges, afin de filmer une interaction sociale. D'autre part, ils devront s’attacher à rendre compte du seuil d'entrée du magasin, à la vitrine et à la porte d'accès, en sorte que l'on puisse percevoir cette zone intermédiaire comme un espace transitionnel entre le "dehors" du territoire urbain et le "dedans" de l'espace marchand.
L'élève de l'Opéra, documentaire de Christian Lallier, réalisé avec Mélodie Tabita, 122mn. Photos : réunion entre l'Opéra de Lyon et la Fondation Total
Filmer le réel ne relève pas d’une écriture, mais d’une posture face à l’autre que l’on cherche à représenter. Autrement dit, filmer l’activité des autres, c’est savoir être là : en co-présence et en face-à-face avec des personnes qui agissent et interagissent, sans que leur action puisse se justifier par la présence de la caméra.
Ce programme d'enseignement nous conduira à examiner de près -par l’analyse et l’expérimentation- les conditions de cette disposition, que l’on qualifiera d’observation filmante. Selon cette démarche, l'ethnographie audiovisuelle permet de rendre compte d’une situation sociale par l’observation filmée des échanges : en celà, elle s’appuie sur des pratiques ethnographiques spécifiques, définissant les cadres d’investigation de l’enquête de terrain avec une caméra et un micro.